À la rencontre de l’univers musical des pygmées Aka

Interview d’Äkä Free Voices of Forest,
union vocale inédite du Congo et de la France

Unis depuis près de 5 ans dans un projet musical unique, Äkä se produira sur la scène de la Maison de la Culture de Bourges samedi 13 mai 2023 à 20h00 pour leur spectacle « Free Voices of Forest ». Formé par les 3 membres de l’ensemble pygmée NDIMA, habitants aka de la forêt équatoriale du Congo-Brazzaville, et par trois Français occitans nommés Leïla Martial, Eric Perez et Rémi Leclerc, la participation du groupe au festival est un véritable événement. Notons que les mélopées de la canopée équatoriale pratiquées sur scène sont inscrites au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Nous avons interviewé Rémi Leclerc à propos de cet événement.

Les Pygmées Aka habitent dans les forêts du nord de la République du Congo et du sud de la Centrafrique. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur leur mode de vie et leur rapport au chant?

Leur langue est le aka. Ces peuples tentent de préserver leur mode de vie et leur culture en dépit de l’influence croissante du modernisme en milieu rural et de la raréfaction des ressources dans un milieu peu à peu dévasté aussi bien par des agriculteurs que des exploitants forestiers. Marginalisés et souvent exploités comme la plupart des groupes pygmées, les Aka entretiennent des rapports de clientèle avec leurs voisins bantous, accomplissant pour eux diverses tâches comme la chasse, la pêche, la collecte du miel, le portage, les travaux agricoles… Enfants de la forêt, les Aka savent en prendre soin, car leur vie en dépend. La forêt leur fournit du gibier et des plantes pour se nourrir, se soigner et confectionner tous les objets nécessaires à la chasse, à la cuisine, à la récolte du miel… La musique fait partie du quotidien. Ils pratiquent, et ce depuis l’enfance, une polyphonie que le jodel (chant caractérisé par le passage rapide de la voix de poitrine à la voix de tête et inversement) rend particulièrement spectaculaire avec ses brusques changements de registre. De même, leurs rythmes tambourinés, leurs danses, leur musique instrumentale pour harpe arquée, harpe-cithare, arc musical, flûte, témoignent d’une riche culture artistique aujourd’hui menacée d’extinction. Originaires du village de Kombola situé au nord du Congo-Brazzaville, les musiciens et danseurs aka de l’Ensemble NDIMA s’attachent donc à promouvoir et à sauvegarder ce patrimoine musical et, ce faisant, nous invitent à un voyage dans les profondeurs de la forêt équatoriale. Musique et danses de la vie quotidienne, chants des esprits de la forêt, des rites de chasse, de guérison ou de levée de deuil, nous offrent ainsi un aperçu d’une tradition immémoriale mais aussi en perpétuelle recréation.

La représentation qui sera donnée samedi 13 mai à Bourges mêle la culture du peuple pygmée à celle du chant occitan. Comment cette rencontre hors norme et atypique s’est-elle faite ?

La rencontre remonte à 2018, lors d’un festival qui avait lieu à Leipzig en Allemagne. Nous étions en concert avec la Compagnie Humanophones quand nous avons découvert un groupe de pygmées autochtones pratiquant la polyphonie vocale, composé de 3 femmes accompagnées de leur manager, Sorel ETA, chercheur ethnologue bantou et fondateur de NDIMA (« la forêt » en langue aka ). Ce groupe d’artistes (chanteur·euse·s et danseur·euse·s) a été créé en 2003 à Kombola, département de la Likouala en République du Congo. Ce fut un véritable coup de foudre et comme une évidence de partager un plateau de façon improvisée lors de la dernière nuit du festival. Leïla Martial, également passionnée de musique pygmée, nous a rejoint dans cette aventure. Nous sommes restés en contact malgré la distance avant de nous rendre à trois reprises au Congo pour mieux découvrir et appréhender les chants aka. La première fois, en 2019, nous nous sommes immergés avec eux dans la forêt, ce qui fut une expérience exceptionnelle immortalisée par un film video réalisé par Yvan SCHRECK. C’est ensuite à Brazzaville que nous avons passé notre second séjour afin de mieux nous connaître encore et de mêler nos voix. Puis, en 2022, nous sommes revenus effectuer une tournée au nord du Congo. Cela a marqué une étape importante, nous permettant de contribuer, à notre échelle, à valoriser des chants traditionnels en voie de disparition. Les peuples du Nord furent souvent surpris et touchés de voir des étrangers s’intéresser à leur pratique. Par ailleurs, le fait de voir leurs congénères porter fièrement leur tradition a participé à renforcer une sensation de légitimité chez certains spectateurs autochtones et à leur donner la force d’incarner et de défendre leurs coutumes au quotidien. Les enfants aka d’aujourd’hui ne pratiquent quasiment plus les chants polyphoniques qui se transmettaient jusque là de génération en génération. Les coutumes se perdent, aspirées par la modernisation.

Vous avez travaillé ensemble des compositions. La différence de langue et de culture a-t-elle été un frein?

Cela a été un long cheminement de s’imprégner des chants aka ; par ailleurs, Sorel ETA le manager du groupe NDIMA s’est chargé de la traduction, ce qui a ainsi beaucoup facilité les échanges. Nous nous sentions en phase avec leurs chants, et sans forcément les répéter à l’identique, nous nous en sommes rapprochés. Nous souhaitions avant tout comprendre les principes fondamentaux qui s’en dégageaient. Nous avons ensuite composé avec eux de façon spontanée mais aussi de manière écrite, tout en apportant le côté traditionnel occitan. Nous avons quelques chansons avec des textes. Dans leurs chants aka, les femmes ont une place importantes et apportent bien souvent une parole de dénonciation. Elles évoquent aussi bien leur vie quotidienne, que les injustices rencontrées. Au-delà de la prestation musicale, les concerts permettent aussi de sensibiliser le public à la déforestation. C’est un moment privilégié qui donne aussi tout son sens à notre projet de rapprochement des cultures.

Après le concert à Bourges, d’autres dates sont-elles prévues ?

Une importante tournée avec près de 30 dates a eu lieu en 2022; plusieurs concerts ont eu lieu en 2023 avec encore quelques uns prévus dans les semaines à venir. Par ailleurs un album est en préparation et une tournée sera organisée en 2024. Nous avons hâte de monter sur scène à Bourges et de découvrir les autres concerts et ateliers proposés lors du festival !

Merci et à très vite à la Maison de la Culture de Bourges !

Distribution :
Le groupe NDIMA (Communauté AKA de la République du Congo)
Angélique Manongo, Emile Koulé, Espérance Moundanga (voix)
Gaston  Motambo, Michel Kossi (voix, percussions)
Direction artistique : Sorel ETA
Leïla MARTIAL (voix, composition)
Rémi LECLERC (voix, body-percussions, clavier, composition)
Eric PEREZ (voix, percussions, compositions).

Mentions obligatoires :
ÄKÄ est une création co-produite par Colore, Les Scènes du Jura (Scène nationale), Africolor, Musiques au Comptoir (Fontenay-sous-Bois), Centre de Création Musicale Césaré à Reims, Jazzdor, Musiques d’Ici et d’Ailleurs (Châlons-en-Champagne), Humanophones, Plateau Libre, Détours de Babel ; avec le soutien de la Région Ile-de-France, et du Ministère de la Culture.

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